BIKINI TEST AU FIL DES ANS & SA PROGRAMMATION
Née en 1988 de volonté de musiciens, de plasticiens et d’artistes sans chapelle, l’Association KA organise une série de concerts, expositions, performances et happenings durant ses trois premières années d’existence. De la salle de la Croix-Bleue au Centre de Rencontre (CAR), en passant par la Halle aux Enchère et différents lieux occupés ponctuellement, « la culture rock » se développe et s’installe en ville de La Chaux-de-Fonds. Après 2 ans d’activités, le public est fidèle au rendez-vous avec pas moins de 150 personnes à chaque événement mensuel.
Désireux de trouver un lieu mieux adapté à cette nouvelle demande, l’Association s’arme de patience et d’arguments et après 2 ans de consultations politiques, le service des affaires culturelles débloque un crédit de 900’000.- CHF pour la rénovation du bâtiment nommé « Les Anciens Moulins ».
Cette bâtisse historique datant de 1766, alimentée à l’époque par le ruisseau « La Ronde » (enterré depuis pour des raisons sanitaires), fournissait la ville et les environs en grains moulus, évitant ainsi le lourd et difficile transport aux Moulins du Doubs. Rachetée par la Ville en 1870, la maison a ensuite été louée à un garde-meuble. Puis, laissé à l’abandon, ce vestige historique a été systématiquement squatté et victimes de déprédations.
Ecartés de la ville, les Anciens Moulins offrent un lieu minimisant les nuisances sonores aux riverains, tout en restant accessible et d’une taille adaptée à la demande. Après 15 mois de projets, de travaux et de palabres, le BIKINI TEST voit enfin le jour. La commune prend en charge les travaux du premier étage et des WC publics alors que l’Association KA se charge d’aménager l’étage du bas. Jean-Pierre Vaufrey, artiste-sculpteur et disciple du créateur d’Alien, Hans Giger, marquera Bikini de son empreinte avec son « Bar Extraordinaire », imbroglio improbable d’objets de récupération glauques, futuristes et morbides, qui marquera et fascinera les visiteurs de ce nouveau lieu alternatif. La façade du bâtiment n’est pas en reste, véritable fresque géante imaginée par Géraldine Cavalli et Jennifer Mermod, mélangeant horreur, sexe, musique et humour, faisant elle aussi partie de l’identité de ce moulin à rock.
Inauguré du 27 au 31 mai 1992, BIKINI TEST devient en quelques mois le rendez-vous de la jeunesse régionale et des amateurs de musiques actuelles. La fréquentation s’intensifie et la réputation du club s’élargit dans toute la Suisse et la France voisine. Encensé par la presse régionale et nationale, le petit club des Montagnes Neuchâteloises se fait sa place parmi les grands et fait partie des clubs les plus connus et reconnus de notre pays.
Après 5 ans d’existence, la bombe atomique lâchée par l’Association KA sur l’atoll de la cité horlogère a réussi son test. Pas moins de 450 événements culturels s’y sont déroulés, allant de la musique toutes tendances confondues à la danse, du théâtre au cinéma, du sport 200% amateur aux soirées à thèmes les plus loufoques. On se souviendra notamment de la « Végétale Party : copeaux, gazouillis et vers de terre » qui se déroula le 11 juin 1994, où le public prié de se déchausser à l’entrée dansera jusqu’au bout de la nuit aux sons de la nature, d’ambient et d’acid jazz sur un dancefloor très Woodstock recouvert de 10m3 de terre glaise !
Non mécontente d’avoir réussi le pari risqué de faire vivre une salle de concert dans un « trou perdu » aux yeux de certains, l’équipe, jamais à court d’idées, a cherché à rayonner dans la ville et animer les périodes creuses de l’année. C’est en effet l’Association KA qui est à l’origine des rendez-vous incontournables que sont le Festival de théâtre de rue « La Plage des Six Pompes » et les Etranges Nuits du Cinéma « 2300 Outer Space » plus tard renommées « 2300 Plan 9 ». Devant l’ampleur prise par ces deux manifestations, elles volent désormais de leurs propres ailes grâce au travail de l’Association « Agora » et de l’Association « 2300 Plan 9 ».
Le 9 mars 1999, Bikini Test connaît la soirée la plus chaude de son existence. En effet, à 5h20 du matin l’alarme est donnée par un agent de sécurité qui faisait une ronde dans le quartier, le club étant à l’époque dépourvu de système de sécurité. La salle est en feu et de la fumée se dégage du toit. L’incendie, causé par la surchauffe d’un câble de rallonge électrique coincé sous un congélateur, est maîtrisé rapidement mais les dégâts sont nombreux. Le rez-de-chaussée, origine du sinistre, est totalement détruit par les flammes, tandis que la salle de concert située au premier voit sa chape de béton et le bar mythique irrémédiablement endommagés par la chaleur intense du brasier, heureusement cantonné à l’étage inférieur. La fumée épaisse dégagée par l’incendie rend toutefois inutilisable la totalité du matériel technique de sonorisation et d’éclairage. De l’extérieur, la maison semble intacte : les fresques sont sauves de même que la toiture et sa poutraison. L’association en prend un coup au moral et l’avenir du club ne semble pas très radieux.
Les assurances prennent en charge les dégâts matériels, mais la perte de liquidité causée par l’inactivité de la salle durant la restauration rend impossible le financement des salaires des permanents et des charges courantes. Touché par le drame, Jean-Martin Monsh, alors conseiller communal et directeur des affaires culturelles, promet de « ne pas laisser tomber l’équipe. Bikini Test a évolué au cours des années et c’est aujourd’hui un lieu vivant indispensable, qui doit continuer à vivre ». De son côté, Bikini reçoit de nombreux signes d’encouragement et de solidarité de la part des autres salles de Suisse. Le « Burning Tour », tournée de soirées de soutien dans de nombreux clubs de Suisse Romande permet de rassembler des deniers bienvenus et de remonter le moral des troupes.
Un an, jour pour jour après le terrible sinistre, Bikini renaît de ses cendres. Pour la sécurité, le bâtiment a été rénové aux normes fédérales (sorties de secours, alarme incendie, portes coupe-feu). A noter aussi que l’acoustique de la salle ainsi que la sécurité auditive est améliorée grâce à la pose d’un limiteur à décibels et de structures absorbant les fréquences nuisibles. Le bar de J.-P. Vaufrey n’a malheureusement pas pu être sauvé et est remplacé par une structure plus sobre et plus classique. L’étage du bas a été repensé et offre désormais un lieu permettant de faire des concerts de petite taille ou de donner 2 ambiances à une soirée en invitant un dj pour animer cet espace. Cette soirée de réouverture du 9 mars 2000 connaît un vif succès auprès d’un public heureux, démontrant s’il le fallait encore à quel point ce lieu alternatif à sa place dans le Haut du Canton.
On pourrait croire à un happy-end, mais l’histoire ne s’arrête pas là. La situation financière du Bikini Test a toujours connu des hauts et des bas. Les coûts de production ne cessant d’augmenter, le budget de la salle gonfle d’année en année. Un désengagement de la part des sponsors préférant se concentrer sur les festivals, qui fleurissent depuis quelques années, n’est pas pour arranger les choses. La situation devient véritablement critique à la fin de l’année 2001, où les finances ne suffisent plus à défrayer les ridicules salaires perçus par les administrateurs. L’association cherche par tous les moyens d’économiser et la programmation s’en ressent également. Le public ne suit pas et la salle sombre dans les chiffres rouges.
Alors que le club fête ses 10 ans en mai 2002, l’optimisme qu’arboraient les membres du Bikini en 1997 lors du cinquième anniversaire n’y est plus. Fin 2002, le comité de l’association prend la lourde décision de licencier tous ses permanents et tente de vivre sur la force du bénévolat total plutôt que de déposer le bilan. L’économie de salaire permet de refaire gentiment surface mais au prix de restructurations profondes au sein de l’organisation et de la gestion du club. On sert la ceinture de partout et l’on optimise son fonctionnement au maximum. La programmation reste pointue et éclectique, mais on ne s’autorise pas de folie. Un nouveau public semble trouver chaussure à son pied et la salle se remplit à nouveau laissant percevoir des jours meilleurs. Les forces des membres du comité sont toutefois mises à rude épreuve. Tous travaillent durant leur temps libre et un grand nombre ne tient pas le coup et démissionne. Il n’y a pas de miracle, ce qui était autrefois assuré par plusieurs administrateurs ne peut être fait en quelque heure une fois rentré du travail. Les meilleures recettes du club ainsi que les dons généreux de la Loterie Romande et de Funk Logic permettent cependant de restaurer et d’améliorer de mois en mois les quelques points vieillissants de la salle (scène, matériels techniques de sonorisation et d’éclairage, cuisine, rez-de-chaussée, bar), mais aussi de prendre quelques risques au sein de la programmation à la plus grande joie du public.
En avril 2005, le bénévolat ne pouvant plus assurer la tenue du travail administratif, le comité décide à nouveau d’engager une personne à 50%. La programmation et la gestion des comptes restent toutefois une tâche bénévole.
Et aujourd’hui, la survie de Bikini Test est encore fragile ; la salle est sortie des soins intensifs mais pas de l’hôpital. Sans le soutien des nombreuses personnes bénévoles travaillant au bar, à la caisse, à la technique, à l’accueil des artistes ou en cuisine, la salle serait morte depuis belle lurette. Qu’ils en soient donc ici grandement remerciés ! Le cas du Bikini Test n’est pas isolé et d’autres clubs n’ont pas eu la force de se relever. Il semble urgent que la culture des musiques amplifiées soit considérée à sa juste valeur et qu’elle fasse partie intégrante de la table de répartition des sommes annuelles dévolues à la culture. Après plus de 25 ans de survie, nous avons démontré notre raison de vivre et que notre place existe bel et bien au milieu de « l’establishment culturel » en vigueur.
Le défi de la programmation de Bikini Test est de persuader les groupes connus qu’ils ont de l’intérêt à venir jouer dans une cité qui n’est pas dans le circuit habituel des tournées suisses. Les agences de booking s’occupant de ces musiciens ont une approche très économique du problème artistique et, pour la plupart d’entre elles, estime largement que les dates suisses doivent rapporter plus d’argent que dans d’autres pays européens. De surcroît, les dates en week-end valent plus chères que les dates en semaine. Il est donc facile de comprendre la difficulté pour Bikini Test de rivaliser avec des clubs mieux placés dans des grandes villes étudiantes et possédant des salles de plus grande capacité. Celles-ci se font proposer des groupes que nous devons aller chercher, et il leur est plus facile d’organiser un concert à moindre coût un jour de semaine. De plus, la plupart de ces clubs peuvent fermer au minimum à 4h du matin leur permettant de rentabiliser au mieux le bar.
Cependant, l’équipe de La Chaux-de-Fonds a toujours réussi ce pari insensé : proposer des têtes d’affiches internationales, faire défiler toute la scène locale et nationale, organiser des party’s mémorables et inviter des dj’s réputés. L’esprit de création du comité et des différentes associations s’alliant en co-production n’y est sans doute pas étranger, Bikini Test propose sans arrêt de nouveaux concepts de soirées. Cette politique d’ouverture nous donne l’avantage de toucher une population très large de 16 à 40 ans et d’amener régulièrement un nouveau public à fréquenter la salle.
En restant dans une gamme de prix d’entrées et de boissons raisonnable, Bikini Test fidélise très rapidement les clients. De plus, l’accueil des artistes a été spécialement soigné dès les premiers jours de la salle, le bouche à oreille fait son travail et nombre d’entre eux revient avec plaisir, un plaisir se propageant sur scène et dans le public. Bien entendu, Bikini Test est aussi un tremplin pour bon nombre de groupes régionaux qui ont facilement l’occasion de jouer en première partie de têtes d’affiche s’essayant ainsi à la scène face à un public nombreux avide de découvertes.
L’énumération de tous les groupes ayant foulé les planches des Anciens Moulins aux cours des dernières années serait un peu fastidieuse. On y a vu les débuts de Ben Harper, la montée de Noir Désir, la première date suisse d’Aston Villa, les passages fidèles de Lofofora, le soutien des Young Gods, les performances incroyables de Maceo Parker, la chaleur de Compay Segundo avant la vague de la mode latino, la scène rock alternative française avec les VRP, les Garçons Bouchers, les Ludwig Von 88 ou encore Miossec, Arno ou Sinclair. Des légendes du rock comme Dee Dee Ramone ou The Buzzcocks. On se souviendra de la semaine spéciale John Cage et son piano brûlé sur la terrasse de la salle de concert. On notera aussi une belle place faite au métal avec Nostromo, Orange Goblin, Nebula ou Pro-Pain mais aussi aux musiques électroniques avec Zenzile, Ez3kiel, High Tone, Stade feat. Erik Truffaz, Bonobo ou DJ Food.